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24.2.11

Ah non, l'extase n'existera.


L'interminable ligne blanche s'éloigne puis se rapproche toujours très lentement malgré les 115 kilomètres par heures avec lesquels l'autobus déambule sur cette grande route. Juste au dessus, la végétation de fossé est indéfinie et se mélange en une bande se camouflant elle-même. Il est possible de percer l'homogénéité striée de cette ceinture en y fixant un point et de suivre son défilement vers l'arrière du véhicule. Pendant le très bref instant où ce point est visible, on connecte avec cette parcelle d'une longueur infinie. Ce n'est même pas une rencontre : dès que le contact se fait, il disparaît en un clin d'oeil.
C'est innocent pour d'autres. C'est triste pour certains.
Accumulant ces affligeantes liaisons, le regard divague. Alors la tornade apparaît. Ce n'est pas une de celles toutes effilées, mais une trapue et vraisemblablement puissante. Naturellement, avant toute réaction, on examine celles des autres passagers. Le calme et l'indifférence de tous gênent et même suppriment l'affolement qui semble être le comportement approprié à la situation. Et ce n'est pas parce que personne ne voit cette catastrophe très présente. Quelques-uns la regardent comme on s'ennuie devant une émission de télévision présentant des accidents routiers spectaculaires. Quelques-uns voient à travers. Quelques-uns ne fixent qu'un espace entre eux et la tornade.
Il ne serait pas difficile de la tester. La simple petite idée qu'il est possible de s'y rendre s'alimente progressivement en une curiosité, une envie, un désir puis une ambition. Il ne suffirait que de se lever et de marcher calmement vers le chauffeur et de lui demander poliment que, s'il voulait bien aller se reposer, il était possible de se relayer. Il marcherait calmement vers l'arrière de l'autobus, où un siège est encore chaud, laissant ainsi le sien libre. Un coup de volant vers la droite et on passe au travers du camouflage. Les passagers n'ont pas changé l'expression de leur visage, mais ils sont maintenant tournés vers l'avant, encore vers la tornade. L'autobus fonce et y arrive. L'autobus s'élève et tournoie. Ces deux vitesses atteignent un certain point où aucune force ne se fait sentir par les passagers. Seulement l'extérieur tourbillonne en un gris pâle. Cette sorte d'apesanteur pose une atmosphère nouvelle qui est ressentie par chacun. Personne ne le fait paraître aux autres, mais tous sont soudainement liés par un amour qu'ils croient secret. Une sympathie générale règne discrètement. Tout le monde se garde de l'expliciter et conserve ce sentiment, satisfait.

Le coup de volant n'a jamais eu lieu.
L'ambition a failli.
L'extase n'existera.
Désolé.

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